Les chiffres apparaissent comme une vérité implacable, mais ils peuvent être aisément manipulés.
Les gouvernements en place l'ont compris, et ont à leur service une arme influente :
l'Insee. L'institut national de la statistique et des études économiques produit, trimestre après trimestre, des études volontairement optimistes, articulant les données dans le seul but de répondre aux conclusions prémâchées par le pouvoir politique. Il en est ainsi des derniers chiffres du chômage, qui aurait reculé de 0,2 point au second trimestre 2019 pour s'établir à 8,5% en France. La réalité est autrement plus glaciale et, elle aussi, implacable.
Guillaume Duval remet les faits à l'endroit.
Derrière les titres triomphants, « ce que nous disent les chiffres publiés [le 14 août] par l'Insee, c'est que la baisse du chômage intervenue depuis six mois, n'est pas le fruit d'une amélioration de la situation de l'emploi – au contraire le taux d'emploi des 15-64 ans a baissé au second trimestre 2019 – mais d'abord celui du recul des taux d'activité : la part de ceux qui ont ou cherchent un emploi a diminué en effet de 0,2 point depuis fin 2018 parmi les 15-64 ans, interrompant ainsi une tendance à la hausse quasi continue depuis 10 ans malgré la crise ».
Or, le taux de chômage au sens de l'Insee n'est autre que la différence entre le nombre de personnes ayant un emploi et le nombre de personnes dites actives.
« Ce recul généralisé des taux d'activité permet certes pour l’instant à la baisse du chômage de se poursuivre malgré la dégradation de l’emploi », poursuit l'éditorialiste d'Alternatives Économiques. « Mais il s’agit en réalité d’une mauvaise nouvelle pour le pays si ce recul devait se prolonger : il est en effet très difficile de ramener à l’emploi des personnes qui auront été durablement éloignées du marché du travail.
On fabrique donc ainsi de nombreux exclus, condamnés le plus souvent à une pauvreté durable et au recours à l’assistance. »
Les chiffres de l'Insee ne prennent donc pas en compte le nombre d'inscrits à Pôle Emploi. Ces derniers sont au nombre de 6.218.700 au second trimestre 2019 selon un rapport récemment publié par l'organisme lui-même... sans compter l'outre-mer.
Un chiffre en hausse, celui-là, alors que la chasse aux chômeurs s'accentue, avec la multiplication des contrôles, l'embauche massive d'agents dont la seule mission est de traquer l'absence d' « efforts », un phénomène qui a pour unique objectif de radier de Pôle Emploi un maximum d'inscrits. Notons que le nombre de sorties des catégories ABC pour radiations administratives oscille depuis des années, 40 000 et 50 000 par mois soit un total minimum de 240 000 radiations depuis le début de l'année. C'est une donnée qu'il faut prendre en compte pour une évaluation plus juste du nombre de privés d'emploi dans notre pays.
Qui peut croire que le chômage baisse vraiment, alors que les fermetures d'entreprises, y compris du secteur tertiaire (commerces, services...) prolifèrent ?
Le grand patronat, à la tête des multinationales, organise à l'échelle mondiale le transfert de la production de richesses depuis la France vers les pays où le travail lui « coûte » moins – entendez, où les salaires et avantages sociaux sont plus bas – et cela ne concerne plus seulement l'industrie.
Ensuite, un grand nombre de privés d'emploi, découragés, sans indemnités, ont renoncé à la farce des actualisations mensuelles et ne sont plus inscrits à Pôle Emploi.Le nombre réel de chômeurs en France, si l'on recoupe le nombre d'ayant-droits au RSA, le nombre de jeunes de moins de 25 ans déscolarisés et sans emploi, le nombre d'ex-salariés de plus de 50 ans attendant désespérément la retraite, approche dangereusement des 10 millions. C'est un carnage.
La réalité sociale, enfin, va à contre-courants des discours dominants, et en particulier de celui du gouvernement d'Emmanuel Macron, qui explique aux salariés que les chômeurs sont des profiteurs, responsables de leur situation comme de la faiblesse des revenus des travailleurs en emploi, en raison des cotisations sociales qu'ils grappillent.
Selon la dernière étude de l'Unedic sur la question, publiée le 7 février 2019 avec les données de fin 2017, le nombre d'allocataires indemnisables était de 3,6 millions de personnes mais le nombre d'allocataires indemnisés par l'Assurance chômage plafonnait à 2,6 millions ; la priorité des privés d'emploi n'est donc pas de toucher tranquillement des allocations, mais de travailler.
La même étude nous dit que « les allocataires indemnisés qui n'ont pas travaillé au cours du mois touchent en moyenne 1.020 euros » - soit moins que le seuil de pauvreté. Autrement dit, l'ensemble des indemnités versées aux demandeurs d'emploi coûte à la nation 2,5 fois moins que l'évasion fiscale, évaluée à 80 milliards d'euros chaque année, organisée par la toute petite minorité d'ultra-riches, et contre laquelle le gouvernement français ne fait tout simplement rien.
Quant à la situation du chômage de masse, il faut être malhonnête pour l'imputer à ceux qui sont au chômage, plutôt qu'à ces mêmes ultra-riches, à la tête des multinationales, censées employer ou assurer le financement des petits employeurs, et qui orchestrent la désertification économique de la France.
Pour finir, derrière les chiffres, il convient de rappeler que personne ne se satisfait d'être au chômage. Le travail, malgré l'exploitation et l'aliénation salariales, a une fonction sociale : s'accomplir, se sentir utile, sortir de chez soi avec un but concret, produire de la richesse, entretenir et créer des relations...
Personne ne se satisfait d'une situation que tous les discours dominants accusent d'inutilité et de fardeau. Pierre Meneton, chercheur à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a produit une longue étude déterminant le nombre de décès imputable au chômage à 14.000 par an en France.
Le chômage d'un homme est une tragédie, le chômage de millions d'hommes et de femmes est une statistique.