agroécologie

Jonathan Dubrulle, ingénieur agronome, doctorant en Agriculture Comparée

A l’heure où la transition agroécologique, le manger-local et le bien-être animal sont au cœur des préoccupations d’un grand nombre de citoyens, la course au profit pourrait bien compromettre ces attentes sociétales. En effet, nombre d’investisseurs lorgnent sur les exploitations agricoles françaises, dont le poids des capitaux immobilisés compromet la transmissibilité. La Révolution agricole de la seconde moitié du XXème siècle se caractérise notamment par des gains de productivité physique du travail [1] inégalés dans l’industrie ou le secteur tertiaire.

Ces gains de productivité furent permis par une importante substitution de travail par du capital fixe, érodant de fait la quantité de valeur créée par actif. En effet, le capital se déprécie chaque année et les consommations intermédiaires (semences, engrais, aliments etc.) sont totalement détruites durant le processus productif. De fait, seul le travail créé de la valeur. Ce mouvement de substitution capital/ travail, incité par les politiques publiques, est également une conséquence de la baisse tendancielle des prix agricoles, notamment depuis les mesures de dérégulation de marché actées dès les années 1990. Les agriculteurs qui en ont eu les moyens ont alors investi dans du capital fixe en vue d’accroître les volumes produits, dans le but de faire face à l’érosion du prix de vente des 1000 litres de lait, de la tonne de céréales ou du kilo de viande bovine. Par conséquent, les quantités de capital accumulées sur les exploitations agricoles ont considérablement accru leur valeur patrimoniale, soit dit au passage le montant du chèque que devra signer le repreneur. En effet, l’immense majorité des exploitations agricoles françaises se caractérisent par une imbrication entre capital et travail: l’agriculteur auto-exploite sa force de travail tout en détenant le capital fixe [2]. On parle alors d’exploitations agricoles familiales. Pourtant, face à l’ampleur des capitaux accumulés par les exploitants agricoles, l’imbrication capital/ travail peut être mise à mal par l’arrivée d’investisseurs. Ces derniers fourniront du capital et exploiteront la force de travail de salariés agricoles, d’où la dénomination d’exploitations agricoles capitalistes. La captation d’une partie de la valeur produite par les travailleurs donnera lieu à un profit. Et pour que l’investisseur ait intérêt à conserver ses capitaux dans l’exploitation agricole, il faut que ce taux de profit égale a minima le taux de profit moyen rencontré dans les autres secteurs d’activité. Il s’agit donc d’une logique court-termiste où la maximisation du profit immédiat prime sur l’augmentation des salaires, la part revenant à l’État, l’investissement productif ou la provision de certaines sommes.Les conséquences environnementales sont criantes. L’agroécologie, qui se pense sur le temps long, est incompatible avec l’exploitation agricole capitaliste. En effet, le gain immédiat s’oppose aux revenus différés permis par l’allongement des rotations sur cinq à dix ans, la plantation de haies qui nécessitent que les arbres poussent, ou une finition des animaux à l’herbe allongeant la durée d’engraissement. La diversification des cultures se heurte à la spécialisation. Cette logique industrielle se base sur la recherche d’économies d’échelle, attendues par le détenteur du capital, pour réduire le coût de la dépréciation du capital fixe, donc augmenter le profit. Néanmoins, la spécialisation de la production constitue une véritable «autoroute» à pathogènes et ravageurs, rendant les cultures dépendantes aux produits phytosanitaires. Cette spécialisation de la production engendre celle du débouché, demandant donc d’importantes capacités de distribution, éloignant de fait le lieu de production du site de consommation, mouvement aux antipodes du «manger local». Quant à l’élevage, la spécialisation induit là encore l’accroissement des volumes et la concentration des animaux au même endroit,augmentant la pression sanitaire et la dépendance aux antibiotiques...En revanche, quand le capital et le travail sont apportés par la même personne, il n’y a pas de profit à distribuer à un investisseur, mais uniquement un revenu agricole voué à satisfaire les besoins de reproduction élargie de l’agriculteur. Sans aliénation au profit immédiat, il est alors possible de différer une partie des gains pour transiter vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement.De fait, les questions environnementales sont indissociables des rapports sociaux de production et d’échange qui les précèdent. L’agroécologie est résolument incompatible avec l’agriculture capitaliste.

[1]Production par unité de main d’œuvre. Exemple: nombre de litres de lait produits par un actif et par an.

[2] Terre exclue. Notons que l’agriculteur a pu emprunter pour financer ce capital fixe.