Article de : Alternatives Économiques du 20 juin 2018
Loi ÉLAN : la fin du modèle français de logement social
Depuis des années, le logement social est au cœur du débat public. Ses détracteurs répètent régulièrement qu’il coûte trop cher en termes de dépenses publiques et qu’il ne devrait loger que les plus démunis. La loi SRU, votée en 2000 et renforcée en 2014, avait pourtant mis en place une logique à la fois vertueuse, pédagogique et efficace d’obligation de résultats au niveau
des communes pour la construction de logements sociaux là où il y en avait trop peu. Néanmoins, c’en était trop pour les « premiers de cordée » de la société française qui se désintéressent des 4,5 millions de logements sociaux et de leurs 10 millions de locataires.
Une histoire plus que centenaire
Une logique de logement rare et cher s’est installée en effet dans les zones les plus denses du pays faisant de l’habitation un outil puissant de ségrégation sociale, non seulement par le logement lui-même, mais aussi par l’école ou la facilité d’accès aux zones d’emploi. Et cela malgré certaines politiques locales engagées et courageuses permettant des constructions variées mêlant locatif social, locatif libre et programmes d’accession.
Le modèle français du logement social repose sur un constat simple : le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre
Le modèle du logement social plus que centenaire avait cependant résisté jusque-là. Il repose sur un constat simple : le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre. C’est pourquoi la loi Siegfried avait instauré en 1894 les habitations à bon marché (HBM) destinées « à des ouvriers et des employés vivant principalement de leur travail et de leur salaire ». Elle prévoyait leur financement grâce à l’épargne populaire collectée par la Caisse des dépôts et consignations. Cela reste aussi le fondement de la loi Bonnevay qui charge en 1912 des organismes publics particuliers de construire, rénover et Ainsi, le logement social est-il devenu un bien commun de la nation dans lequel celle ci a investi sur le temps long par la mobilisation de l’épargne populaire. Et cela grâce à des acteurs pour lesquels la rentabilité rapide n’est pas la boussole, grâce à des opérateurs publics et privés dédiés qui savent différencier logement et produit financier : des éco-systèmes, national et locaux, que beaucoup des pays nous envient.
Une financiarisation en marche
C’est l’ensemble de cet édifice qui est fragilisé aujourd’hui. Suite tout d’abord à la loi de finances 2018 qui a décidé d’une ponction d’1,5 milliard d’euros par an à compter de 2020 (800 M€ dès cette année) dans les fonds propres des organismes. Le projet de loi ÉLAN (Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) renforce encore ces difficultés. La logique qui se met en place est en effet celle que réclamait Bercy depuis des années, mais que les majorités successives, de gauche comme de droite, avaient repoussée jusque là. Ainsi, face à la ponction qui leur est imposée sur leurs fonds propres, l’État veut en premier lieu imposer aux organismes de vendre leur patrimoine, avec un objectif de passer de 8 000 à 40 000 ventes de logements par an. Et cela sans même solliciter l’accord du maire de la commune concernée qui peut fort bien être en déficit de logements sociaux.
Et il ne s’agit même pas réellement de permettre, comme cela est dit, l’accession à la propriété des locataires actuels, un mécanisme dont la portée est de toute façon restreinte par la paupérisation croissante des locataires HLM. Il s’agit surtout en réalité de développer la vente d’immeubles en blocs à des sociétés qui, immédiatement ou au bout de 10 ans, en feront des logements à prix libres, avec une forte rentabilité à la revente ou en location. Pour encourager un peu plus à aller dans ce sens, les immeubles ainsi vendus resteront pendant 10 ans dans le quota de logements sociaux reconnu à la commune, quota qui doit atteindre 25 % en 2025.
Tous les pays qui se sont déjà engagés dans cette voie ont déséquilibré leur secteur du logement social et en souffrent encore
Bien entendu, les organismes HLM vendront dès lors la partie de leur parc potentiellement la plus rentable, avec un risque accru de ségrégation et de paupérisation de la population du parc HLM résiduel. Pour tout nouveau logement social construit, on devra désormais prévoir sa possible revente à terme, au bout de dix à quinze ans. Dit autrement, c’est la financiarisation du logement social qui est en marche, avec des investisseurs privés qui chercheront une rentabilité certaine et rapide. Tous les pays qui se sont déjà engagés dans cette voie ont déséquilibré leur secteur du logement social et en souffrent encore.
La construction en danger
Deuxième solution avancée dans la pourtant start-up nation tant vantée, c’est le big is beautiful. Les organismes HLM vont être contraints de se regrouper à marche forcée pour avoir chacun un parc d’au moins 15 000 logements, sans que soit prouvées ni l’efficacité économique de tels regroupements uniformes sur tout le territoire, ni surtout leur efficacité sociale en termes notamment de gestion de proximité.
Et c’est tout le secteur du bâtiment qui risque d’être fragilisé par ce changement de paradigme, tant la construction de logements sociaux stabilisait financièrement des opérations mixtes, en donnant une plus grande confiance aux banques dans leur possibilité effective de réalisation. C’est tout le paradoxe de cette politique : sous couvert de créer un illusoire choc d’offre, le risque est bien réel de freiner en réalité la construction de logements et de livrer un peu plus les classes moyennes et populaires aux affres d’un marché dérégulé où l’offre est chroniquement insuffisante.
Daniel Goldberg est ancien député socialiste de Seine Saint Denis, spécialiste des questions de logement